BROUILLON DE L’ALLOCUTION prononcée à l’occasion du VERNISSAGE DE l’exposition rétrospective de JEAN RAULT au MUSÉE DE LOUVIERS en février 2011.

Mes Remerciements vont tout d’abord à

Mr le Maire et aux adjoints chargés de la culture dans cette bonne ville de Louviers,

À Madame Rothiot qui est la première personne que j’ai rencontrée en Normandie sur les conseils de Pierre Gaudibert, fondateur de l’ARC (Animation, Recherche, Confrontation) au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et qui était un pionnier et un visionnaire dans le monde de l’art de la deuxième moitié du XXème siècle.

Je tiens à remercier vivement et solennellement les deux commissaires de cette exposition rétrospective en deux temps : Philippe Cyroulnik, et Michel Natier.

Philippe Cyroulnik est directeur du 19, centre d’art à Montbéliard, professionnel incontesté qui a découvert de jeunes artistes et soutenu des artistes plus mûrs mais injustement négligés par l’art officiel. C’est quelqu’un qui suit et soutient mon travail depuis une vingtaine d’années, et bien sûr, Michel Natier qui dirige ce musée en pilotant une programmation centrée sur les artistes et que beaucoup de musées de province dans des villes comparables et même beaucoup plus grandes, pourraient prendre comme exemple.

Tous les deux m’ont fait confiance et en France, j’ai suffisamment peu de soutiens officiels pour que j’en prenne soin. Je les remercie dans le livre pour leur discernement. C’était la principale qualité que revendiquait Bernard Lamarche-Vadel, personnage majeur de la scène artistique française, qui s’intéressait à mon travail, qui a écrit le premier texte important sur mon travail, qui m’a organisé ma première exposition à Paris et qui nous a quittés il y a presque onze ans, en se tirant une balle dans la tête.

Je remercie également les écrivains qui ont écrit des textes magnifiques pour accompagner mon travail :

Pierre Wat, écrivain, historien de l’art et ami des artistes, qui vient d’écrire plusieurs livres de référence à partir des œuvres de peintres qui ont contribué à faire l’histoire de l’art ou qui sont en train de faire l’histoire de demain : Constable, Turner, Monet et plus récemment Anthony Vérot, peintre, qui a fait le déplacement lui aussi et que je remercie chaleureusement.

Marcel Hénaff, probablement l’anthropologue français vivant le plus brillant de sa génération qui n’a pas pu venir, il faut dire qu’il a une bonne excuse puisqu’il est professeur à l’Université de San Diego, Californie.

Et Catherine Pomparat qui a écrit 4 petits textes poétiques superbes à partir de 4 photographies de femmes japonaises. Ces textes ont été écrits en 2006 pour la revue en ligne remue.net, à laquelle elle collabore depuis sa fondation et elle a accepté que nous les reproduisions dans ce livre.

Elle a demandé qu’on l’excuse car elle habite Bordeaux où elle professeur à l’école des Beaux-Arts.

Marcel Lubac, artiste et directeur d’un lieu de référence qui est la Maison d’Art Contemporain Chailloux à Fresnes au sud de Paris, dont l’élégance et la finesse de la pensée me ravissent toujours et qui est venu aussi ce soir me soutenir et s’associer à cet événement.

L’école des Beaux-Arts de Rouen, et son directeur François Lasgi, dans laquelle j’ai été professeur pendant une quinzaine d’années et j’ai déjà dit à mes anciens collègues que certains me manquent déjà.

Je remercie tout particulièrement les Membres de l’Équipe du Musée de Louviers qui m’ont accueilli avec beaucoup de chaleur humaine et qui ont travaillé avec un professionnalisme impressionnant et irréprochable.

Je remercie également les amis fidèles qui me font confiance et qui supportent encore mon humour ou ma mauvaise humeur, ce qui est quelquefois la même chose en ce qui me concerne.

Je remercie enfin tous ceux qui ont fait le déplacement ce soir et en particulier certains amis qui sont venus de très loin.

Faire une rétrospective est un désir qui naît assez vite chez les artistes et pourtant il y a quelque chose de terrifiant dans cette clôture même si elle est provisoire, car elle nous rapproche de la mort.

Pour éviter les interprétations hâtives, erronées, fallacieuses ou carrément malveillantes qui accompagnent quelquefois mes expositions, je voudrais rassurer ceux qui pensent que ce travail est le fruit d’un dérèglement de taux de testostérone.

Après cette première mise au point, j’en arrive au vif du sujet :

Récemment, lors des visites de chantier pour l’impression du livre qui accompagne l’exposition, Madame Bailly de l’excellente entreprise Bailly, que je remercie également pour son professionnalisme et l’investissement personnel de chacun dans cette entreprise ; Madame Bailly, me faisait remarquer justement qu’il y a 20 ans, pour parler des travaux qui composent l’enchaînement des procédures à l’œuvre dans l’imprimerie, on disait les Arts Graphiques et qu’aujourd’hui, pour parler de la même chose, on dit les Industries graphiques.

Les Arts sont devenus des Industries.

Tout est dit : de la même manière Jean-Luc Godard disait à propos du « 7ème art » : « Le cinéma ? Un art, par ailleurs une industrie« .

Si vous prêtez l’oreille, vous vous apercevrez qu’aujourd’hui on parle d’industrie à tout propos et de manière décomplexée (décomplexée comme on dit aujourd’hui).

Les professionnels du tourisme peuvent vous vendre du rêve, et ne pas tenir leurs promesses, sans complexes. L’industrie touristique a pris la place des voyages, des aventures et des rencontres.

Heureusement Charles Dantzig nous rappelle que : Le tourisme, c’est l’exploitation du plouc par le faussaire….

On n’est pas gêné non plus de parler d’industrie agro-alimentaire ; je vous rappelle qu’il s’agît de ce que nous mangeons, de ce qui nous nourrit, donc de ce que nous sommes. Ainsi, nous mangeons de la viande de poulets élevés en batterie dans des usines, des légumes qui ont poussé hors-sol, des fraises qui n’ont jamais vu un rayon de soleil.

Au XXème siècle, c’était il n’y a pas si longtemps, on a même industrialisé la mort.

Les loisirs aussi s’industrialisent : Les parcs à thèmes apparaissent comme de bonnes idées pour occuper le peuple.

L’économie de marché a remplacé les droits de l’homme,

L’industrie du divertissement a remplacé les congés payés, les vacances et le temps libre.

L’ingénierie culturelle régit le secteur avec ses règles managériales.

Walter Benjamin nous avait prévenu : Avant tout le monde, il avait annoncé l’avènement de l’œuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité technique…. Comme une révolution dont nous avons mis du temps à nous rendre compte, avant de la subir.

René Guénon, le grand sage, annonçait il y a plus de 70 ans : l’avènement du règne du nombre

Je ne vais pas vous infliger un cours théorique, mais je crois que la photographie, qui a toujours été en concurrence avec les autres arts dits « nobles » et en particulier la peinture, est en train de perdre ce qui lui restait d’aura.

La photographie par sa capacité intrinsèque de multiplication a favorisé son industrialisation, et l’avènement et la généralisation de l’informatique ont accéléré le processus.

Aujourd’hui, on réussit tous les trois mois, à abaisser les coûts de production et de stockage des images numérisées, ce qui a pour effet d’encourager une production exponentielle de clichés que nous n’avons déjà plus le temps de regarder. Alors qu’en est-il de leur analyse, et donc qu’en sera-t-il de leur contemplation, je ne parle même pas de les faire exister les imprimant sur du papier…

La photographie numérisée s’inscrit bien dans la vie d’aujourd’hui et il ne s’agît pas de ronchonner ou de regretter un âge d’or, de pleurer sur le bon vieux temps des vraies choses (il n’y a jamais eu de « bon vieux temps » que chez les nostalgiques et les romantiques attardés).

Cela dit, il est vrai que si c’est pour mettre sa photo sur Facebook, c’est vrai qu’un cliché numérique bon marché suffit et que de sympathiques vignettes font l’affaire.

À l’heure de la Waltdysneisation du monde et des parcs à thèmes, la photo numérisée qu’on fait avec son téléphone est la bienvenue. Mais d’un autre côté, se satisfaire d’être amis sur Facebook n’est-il pas significatif du degré de dégénérescence de la définition même de l’amitié.

C’est peut-être comme pour la video, il va probablement falloir du temps pour produire quelques œuvres convaincantes, si tant est que cette notion ne soit pas trop passéiste.

Mais avant de conclure, je tiens à dire avec force que je ne pense pas que le numérique soit le diable, et personnellement, j’utilise quotidiennement l’informatique en tant qu’outil, en tant qu’outil pratique, indispensable et même incontournable, simplement j’essaie de rester vigilant ; pour rester libre et ne pas utiliser « les choix par défaut » que les ingénieurs ont installés dans les machines.

Beaucoup des photographies de cette exposition n’auraient pas vu le jour sans l’informatique même si toutes les prises de vues sont faites avec des appareils de prise de vue photographique argentique, plutôt des moyens formats, c’est-à-dire des gros appareils, des mécaniques d’une autre génération.

Voilà, je voulais être bref, et vous livrer quelques réflexions personnelles. Je répondrai aux questions s’il y en a. mais j’ai quand même un peu l’impression que dans un tel contexte cette exposition ne revête très vite un caractère un peu élitiste et déjà historique, malgré nous.

La célébration du mystère de l’incarnation n’est pas le souci majeur de notre époque.

Et puisqu’il faut y croire, il faut en quelque sorte avoir la Foi pour continuer à œuvrer dignement, et puisque sans amis, la vie n’a pas de sens, et que hors des œuvres, il n’y a point de salut,

Je vous propose d’aller lever nos verres et célébrer les Arts et l’Amitié, la Foi et les Œuvres

Merci à tous